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Huile dure pour le bois : Efficace ou marketing ?

huile dure pour le bois

L’huile dure est un mélange d’huile végétales et d’autres produits plus ou moins naturels. Elle est réputée pour la protection du bois.

Un client, Cédric m’a contacté récemment pour me poser une question simple :

« Dois-je utiliser de l’huile dure pour protéger ma nouvelle table en pin Cembro ? »

Il faut dire que Cédric est un artisan installé dans un endroit magnifique : le Queyras, dans les Hautes-Alpes. Alors il fait attention à ce qu’il utilise pour protéger ses créations et respecter son environnement naturel préservé.

Sa question m’a piqué au vif.

Mais pourquoi veut-il utiliser de l’huile dure ?

Pour moi, le plus simple et le plus efficace est bien sûr l’huile de tung pure ou additionnée d’essence d’orange !

L’huile dure, c’est une promesse alléchante mais qu’y a t’il derrière ?

D’où proviendrait cette durabilité qui la rendrait supérieure aux autre huiles ? Quel ingrédient magique la rendrait si forte ? »

Et si je passais à côté de quelque chose ?

Je me suis donc demandé :

Est-ce que l’huile dure… dure ?
Est-elle vraiment si dure ?

C’est ce que nous allons explorer dans ce nouvel article dédié à la protection naturelle du bois.

Huile dure complexe ou simplicité du tung ?

Dans ma vie d’ébéniste, j’ai appris une chose :
La simplicité, c’est la clé !

Les produits trop complexes cachent souvent une piètre qualité. On a le même cas avec les aliments ultra-transformés


L’huile de tung, pure ou mélangée à un peu d’essence d’orange, c’est ce que j’ai trouvé pour l’instant de plus efficace dans la protection naturelle du bois.
Résistant, écologique, durable.
Mais bon… peut-être suis-je passé à côté de quelque chose après tout.


Nous allons donc nous pencher ensemble sur la composition des huiles dures et analyser ce que chaque ingrédient apporte réellement au mélange.
Rassurez-vous on ne va pas faire un cours de chimie mais on va découvrir au passage le lien entre l’huile de ricin et le fascisme en Italie ou celui entre la forêt amazonienne et un burger industriel…


Perso, j’adore faire ce genre de recherche car on finit par décrypter ce que beaucoup d’industriels ne souhaitent vraiment pas que nous voyons.

Composition de l’huile dure

ingrédients de l'huile dure pour le bois

L’huile dure contient généralement un mélange d’huiles végétales et minérale + une résine naturelle et des siccatifs.

Jusque là, tout va presque bien.


Le cocktail est à base d’huile de lin, de soja, de ricin, d’un peu de tung, de la colophane, de l’huile de paraffine issue de la pétrochimie et des siccatifs.

J’ai quand même quelques questions :

  • Quel est l’intérêt de chacun des composants ?
  • Améliorer l’ensemble ou augmenter la marge du producteur ?
  • Et l’impact écologique dans tout ça ?


Allez c’est parti on enfile les blouses et on commence l’analyse !


HUILE DE LIN


Le premier ingrédient de l’huile dure est l’huile de lin.

J’en ai déjà parlé dans un long article alors je ne vais pas rentrer trop dans les détails ici.
L’huile de lin est un peu plus fluide que celle de tung. Elle pénètre correctement dans le bois mais a tendance à jaunir rapidement. Sa résistance aux moisissures et aux UV est plus faible que celle de l’huile de tung.

Son prix est attractif, c’est pourquoi on l’utilise en protection du bois depuis longtemps.


Je pense que les industriels choisissent surtout de l’huile de lin bouillie pour leur préparation. Ce traitement thermique accélère le séchage. Je dis « séchage » mais en fait c’est un abus de langage puisque l’huile ne contient pas d’eau. Il s’agit plutôt de siccativation, c’est-à-dire une réaction chimique avec l’oxygène (oxydation).


Et si vous pensez que cette bonne vieille huile de lin arrive tout droit du petit moulin artisanal près de chez vous, vous vous trompez ! Avant, on l’importait de Russie mais depuis quelques temps le commerce est un peu moribond avec ce pays. Les industriels se fournissent maintenant au Canada.


Bref, l’huile de lin ça marche mais c’est pas non plus le produit ultime pour protéger naturellement le bois !
Voyons maintenant le second ingrédient dans l’ordre d’importance : l’huile de soja.


HUILE DE SOJA


Celui-là, je l’adore ! S’il y a bien un produit qui symbolise la mondialisation et la malbouffe c’est bien celui-là !

Si vous avez stoppé l’huile de palme hydrogénée dans votre alimentation, vous pouvez aussi boycotter l’huile de soja !

Cette huile est bien souvent issue d’OGM, cultivée au Brésil ou aux États-Unis dans des fermes industrielles.

Déforestation, irrigation, subventions… On accumule les non-sens avec ce produit.


Alors, a t’il un intérêt dans notre formule d’huile dure ? Un truc qui le rendrait irrésistible ?
Ah on me dit dans l’oreillette que l’huile de soja est très pénétrante et qu’elle contribue à former un film protecteur après polymérisation.
Magnifique !


Pourtant 2 choses me viennent à l’esprit avec cette argumentation.
1/ L’huile de soja ne polymérise pas toute seule puisque son indice d’iode est inférieur à 150. Il faut donc ajouter un siccatif.
2/ Elle rancit… Pas top donc !


Alors quel est son plus grand atout d’après vous ?
Bah oui ! Vous avez pigé le truc ! C’est son prix !
D’ailleurs les industriels de la malbouffe ne s’y trompent pas. Ils adorent cette huile pour la « friture profonde » ou « deep frying ». N’imaginez pas un bain de friture où vous n’auriez pas pied, c’est juste une question de température. Cette huile bien raffinée ne dégage pas trop de fumée quand on monte à haute température.
Idéal pour fabriquer d’excellents burger industriels dont les animaux ont aussi été gavés de soja OGM.
Et c’est encore plus de profits pour un modèle d’agriculture dévastateur !

Vous avez encore envie d’en utiliser pour protéger votre bois ?


Du coup, les deux premiers ingrédients de notre élixir n’ont donc rien de magique pour l’instant… Passons au suivant que je connais particulièrement bien !

HUILE DE TUNG

Cet ingrédient, c’est l’huile de tung bien sûr. Il n’arrive qu’en troisième ici car il a un GROS inconvénient. Les industriels le trouvent trop cher !
D’ailleurs, son prix ne va pas aller en s’améliorant car la coopérative à laquelle j’achète mon huile a bien augmenté son prix cette année.
Quand je leur ai demandé pourquoi il y avait une telle hausse, j’ai été vraiment affecté par leur réponse.


Les paysans n’ont pas ramassé toutes les graines dans les montagnes car le prix d’achat était trop bas pour leur permettre de gagner dignement leur vie !
La production d’huile a donc chuté.
Je connais ces personnes.
J’ai rencontré le directeur de la coopérative.
Il m’a emmené dans les montagnes avec Sophie.
Nous avons travaillé ensemble pour obtenir l’huile avec le grade le plus clair.
Nous avons constaté la dureté du travail de collecte des graines.

discussion avec Guillaume Le Penher dans une usine chinoise de pressage de graines de tung
Discussion à la coopérative de pressage des graines de tung


J’ai donc décidé 2 choses.
1/ J’ai accepté avec plaisir cette hausse qui doit permettre aux paysans de cette région assez pauvre de Chine de mieux valoriser leur travail.
2/ Je me suis engagé à ne pas la répercuter cette année afin de donner la possibilité à plus de personnes de découvrir cette huile et l’utiliser pour protéger le bois.
En tout cas cette huile est certainement la plus efficace du combo…


L’huile suivante est pleine de surprises !


HUILE DE RICIN


C’est celle que je connaissais le moins alors je me suis penché sur son cas avant de faire cette vidéo !

On l’appelle « Castor Oil » en anglais car elle a remplacé un temps une sécrétion des glandes de castors en parfumerie…
Mais il y a des choses bien plus étonnantes avec le ricin !


On lui prête des vertus sur la pousse des ongles ou des cheveux.
J’aurais pu faire un bon cobaye pour les cheveux mais j’ai peur que ce soit un peu tard maintenant !

La plante qui produit cette graine dont on extrait l’huile est très toxique.
Elle serait 6000 fois plus toxique que le cyanure et 12000 fois plus que le venin de crotale !
Je ne sais même pas comment on calcule de tels niveaux de toxicité.
En tous cas, vous vous souvenez peut-être du coup du parapluie bulgare dont la pointe était enduite de ricine pour empoisonner une victime…
Pendant la présidence d’Obama aux États-Unis, la Maison Blanche a reçu régulièrement des courrier contenant de la ricine.
Ces actes racistes ont été déjoués par la CIA !


Si on remonte plus loin dans l’histoire, l’huile de ricin semble être particulièrement appréciée des fascistes et des nazis qui forçaient leurs opposants à en boire.
Ces personnes finissaient par avoir de puissantes diarrhées qui pouvaient les conduire à la mort par déshydratation ! On disait alors que le pouvoir de Mussolini reposait « sur la matraque et l’huile de ricin ».


On est loin des bienfaits prônés par les pubs de la fin du XIX ème siècle qui vantaient les mérites de cette huile pour prendre soin des enfants ou les punir
Mais cette huile a aussi éclairé l’Humanité en alimentant les lampes pendant des siècles
Puis elle a servi dans l’industrie chimique pour une famille de polyamide (inventé d’ailleurs par 2 chimistes français).
Il n’a pas eu beaucoup de succès pour le textile car trop dépendant de la production agricole mais on continue de trouver des usages techniques intéressants.
Cette huile sert également dans la fabrication des polyuréthanes qui sont omniprésents dans vies.


Bref, revenons à notre composition.
L’huile de ricin apporte un peu d’élasticité et de brillance au mélange.
Par contre, elle n’est pas du tout siccative avec un indice d’iode très bas, autour de 90 (alors qu’il faut au moins 150 pour qu’une huile durcisse).


Enfin, dans certaines huiles dures, on trouve des huiles minérales.


HUILES MINÉRALES


Elles sont bien sûr issues de la distillation du pétrole.
On en distingue 2 types selon leur teneur en carbone, en soufre et d’autres composés peu ragoûtants.
Ces distillats sont par exemple très présents en cosmétique : vaseline, baume et rouge à lèvres, fond de teint…
Un de leurs avantages pour les industriels par rapport aux huiles végétales est qu’elles ne rancissent pas.


Ici, elles fluidifient le mélange mais n’apportent pas grand chose d’autre à mon avis pour protéger le bois puisque c’est bien de cela qu’il s’agit.
Leur faible coût est aussi bien appréciable pour le fabricant.


Je ne m’étends pas plus sur ce produit car il n’a clairement qu’un faible intérêt et ralentit encore le séchage du mélange.


COLOPHANE


L’ingrédient suivant nous rapporte un peu de nature !
C’est la colophane.


Vous la connaissez si vous jouez d’un instrument à cordes frottées comme le violon.
Sans colophane, l’instrument est quasiment muet car le crin de l’archet glisse littéralement sur la corde.
La colophane apporte l’accroche nécessaire pour que la corde vibre et chante.

colophane pour archet de violon


Elle est issue de la distillation de la gemme de pin, c’est-à-dire de la térébenthine. Elle est vendue sous forme de résine plus ou foncée et dure.
Son rôle est d’apporter de la dureté au film d’huile une fois polymérisé. Le dosage n’est pas simple car si on a la main un peu lourde, le résultat sera plus cassant.


Voici donc l’ingrédient « dur » de l’huile dure ! Mais est-ce plus durable pour autant ?
A mon avis, non !
Pourquoi ?


Réfléchissez un instant au type de matière qu’est le bois.
Vous avez certainement déjà vu un trottoir, un mur, du béton fissuré et fracturé par un arbre qui pousse tranquillement sans ce soucier de ces « obstacles » dans des matières parmi les plus dures…


Alors que pensez-vous qu’il se passe quand le bois de votre terrasse, de votre bardage ou même de votre table gonfle ou se rétracte en fonction de l’hygrométrie ?
Une finition dure se fissure.
Et l’eau finit par s’infiltrer puis détruire votre protection.


Résultat : il faut poncer pour mettre le bois à nu et recommencer pour le plus grand profit des marchands de ponceuses, de genouillères et de baume du tigre !
Il nous reste un dernier ingrédient à notre potion : le fameux siccatif.


LE SICCATIF


Alors lui, on l’appelle uniquement par son surnom puisqu’en fait il existe plusieurs types de siccatifs.
Certains aident à durcir en surface, d’autres en profondeur.


Ils sont issus d’oxydes métalliques pour la plupart.
Rassurons-nous, on ne vend plus que du « siccatif sans plomb » !


Ah, vous n’êtes pas rassuré ???


Le cocktail comprend du cobalt, du manganèse, du zinc, du baryum…


Bref, c’est vrai que c’est tentant d’avoir de l’huile qui siccative plus vite.
On peut avoir envie de circuler sur son parquet en chêne 24 ou 48h après la seconde couche.
Ce qui n’est pas possible avec de l’huile de tung sans laisser un minimum de traces qui s’enlèvent d’un coup de chiffon.


On revient quand même encore une fois au problème de « peau » dure formée en surface par des huiles siccativées.
Je préfère de loin laisser l’huile pénétrer plutôt que de former un film dur en surface. La souplesse de l’huile de tung est un gage de longévité et de facilité d’entretien, sans ponçage.

En conclusion


Bref ! Finalement il n’y a rien de magique dans cette huile dure !

L’industriel essaie de gagner de la marge avec des huiles moins cher afin de payer ses chimistes. Il peut vendre son produit aux grands magasins de bricolage qui doivent faire une grosse culbute pour payer les salaires, la boutique et le parking…

Au bout de la chaine, vous payez un mélange qui contient maximum 10% de valeur. Le reste servant à financer la chaine globale et le marketing.


Bon je m’arrête là sur cette analyse car l’huile dure n’est pas le pire produit du marché pour protéger efficacement et naturellement le bois. Je parlerai dans une prochaine vidéo des vernis à l’eau qui sont une plaie pour notre environnement…

Mode d’emploi pour Cédric :


Allez je termine avec mon conseil à Cédric pour sa table en pin cembro.


Cédric, pour protéger ta table, voici ce que je ferais :
1/ Une première couche d’huile haute protection au pinceau en tirant bien. Je le dis souvent, faut être radin avec l’huile. Pas besoin de tartiner le bois !

appliquer l'huile sol-éco sur le bois


2/ Tu laisses le bois pomper l’huile pendant une heure ou deux puis tu essuies avec le chiffon que je t’ai offert dans avec ton bidon 😉


3/ 12 ou 24h après, tu fais une seconde couche au chiffon en l’imbibant d’huile régulièrement.


4/ Pour renforcer la protection, tu peux en refaire une autre 6h après. On est pas à la minute hein si c’est 12h après c’est OK !


Pas besoin de ponçage entre les couches. Attends 3-4 jours si tu peux avant de la mettre en service et aère bien pour aider à la siccativation. C’est l’oxygène de l’air qui aide l’huile à durcir.


Bon, pendant que tu fais ça, moi je vais aller me faire une bonne tranche de pain de campagne avec du Bleu du Queyras !

Bon chantier !

Guillaume de Sol-éco

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